Jean-Mari Pître. La vache qui voulait jouer au football… une histoire vachement triste

Jean Mari Pître

EDMONDTON – Une jeune recrue prometteuse a de quoi menacer des joueurs bien établis dans la Ligue canadienne de football.

Annabelle n’est pas une vache comme les autres. Elle ne sera pas une vache laitière, comme l’entendent ses parents. Ce n’est certes pas la carrière qu’elle envisage, peut-on clairement comprendre quand on la connaît, ne serait-ce qu’un peu.

Le jeune bovidé de sexe féminin a de bien plus grandes ambitions : rien de moins que de percer l’alignement des Eskimos d’Edmonton, son équipe de football préférée. Elle pense même pouvoir détrôner Mike Miller comme plaqueur défensif numéro un. Rien que ça ! Elle a du front, la petite.

Annabelle connaît d’ailleurs tous les joueurs. Les meilleurs, au moins. Son préféré, elle le nomme sans hésiter. « C’est Frank Lebœuf ! », nous lance-t-elle tout de go en langage de vache que nous avons réussi à décoder. Et non, ce n’était pas de l’espagnol.

La fougueuse taure affiche soudainement une mine contrariée, à la vue de l’expression dubitative apparaissant sur le visage de l’intervieweur. Elle comprendra quand on lui expliquera que son joueur de prédilection n’est pas un joueur de football canadien -dont les racines viennent du rugby-, mais un joueur de foûte, comme on dit en France. Le soccer, comme on dit en sol canadien.

Le célèbre défenseur a en effet porté les couleurs du FC Strasbourg puis du Chelsea FC, en plus d’aider l’équipe nationale de France à remporter plusieurs titres internationaux, dont la coupe du monde en 1998.

C’est à ce moment que la rencontre tourne au drame. Dépitée et à la fois folle de honte et de rage, la belle rousse se met à ruer dans la pièce, tant et si bien que de ses pattes, elle fait éclater la baie vitrée qui nous séparait de l’extérieur.

La pauvre Annabelle se met ensuite à errer l’âme en peine dans les rues d’Edmonton. Errer jusqu’à faire une rencontre qui allait changer à jamais sa destinée : un secondeur de ligne. En plein milieu de la rue. « Non ! C’est un quart arrière », réalise-t-elle en le voyant distribuer ses instructions et diriger la circulation, armé de son sifflet, en plein milieu de son caucus.

Qu’importe s’il porte un bien drôle de costume, avec sa veste bleue et sa petite casquette à palette qui ne ferait pas long feu sur un champ envahi de 24 footballeurs tout aussi robustes et rapides les uns que les autres. Peu importe, se dit-elle, avant de foncer à toute vitesse. C’est le rôle d’un plaqueur défensif, après tout, que de stopper le quart.

Annabelle renverse sa victime d’un simple coup d’épaule. Elle sent soudain surgir en elle l’ivresse du triomphe. Sus à l’ennemi ! ! !, se surprend-elle à lancer, tel un cri de guerre.

La partie n’est pas gagnée pour autant, puisque du renfort arrive aussitôt. La ligne primaire de défense, composée de trois éléments très mobiles bien plus imposants, chacun étant recouvert d’un équipement de protection fait de métal bicolore.

Force est d’admettre qu’elle n’était pas de taille. Malgré ses charges répétées et son indiscutable hardiesse, jamais n’a-t-elle réussi à franchir le mur défensif de l’adversaire.

Là n’était pas la fin de ses peines, par ailleurs. Voilà qu’on l’embarque. Elle devra passer les heures à venir derrière les barreaux. « Rien qu’un dur petit moment à passer », lui suggère son conseiller pour tenter de la réconforter. En proie à des crises d’angoisse, la rebelle génisse croit son avenir de footballeuse compromis à jamais.

Le verdict tombe le lendemain, au matin. C’est comme si ses frayeurs s’étaient avérées prémonitoires. La fédération nationale de football bannit en effet Annabelle de son sport préféré pour une période de cinq ans. La triste athlète ne pourra intégrer la brigade défensive des Eskimos d’Edmonton.

Et non, ce n’est pas en raison de ses origines limousines et donc françaises, sa robe auburn trahissant ses lointaines racines. Si jamais on lui refusait l’accès à l’équipe de la très anglo-saxonne capitale de l’Alberta, ce serait en raison de son sang, qu’elle a toujours cru. Elle est peut-être de race bovine canadienne, se demande Annabelle. Encore là, pas de chance. Cette espèce a été développée au Québec, qui plus est à l’époque de la Nouvelle-France.

Non. Ce n’est pas en raison de sa couleur. Annabelle aurait dû plutôt se méfier des offreurs de seringue qui traînent en bordure des champs. Elle aurait mieux fait d’écouter sa mère, qu’elle se dit avec regret, quand le juge lui annonce que les prélèvements effectués la veille sur elle ont révélé la présence d’un taux anormalement élevé d’hormones de croissance dans son sang.

Ainsi prend fin, du moins temporairement, le trajet d’Annabelle vers les plus hauts échelons du football canadien. Un bien triste sort pour une athlète dotée d’une telle fougue et d’une aussi grande volonté. C’est finalement son impétuosité qui aura eu raison d’elle. À vouloir aller trop vite, on reste parfois en route, dit-on.

Et non, l’avenir de Mike Miller n’est pas menacé comme plaqueur défensif numéro un des Eskimos d’Edmonton. Ce dernier peut plaquer tranquille… pour encore cinq ans. D’ici là, Annabelle devra se ressaisir, tout en sachant troquer sans heurts le champ de football pour la verte prairie.

 

Jean-Mari Pître

Texte publié dans le no 8 Jeudivers

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