Sébastien Bérubé. La porte

Sébastien Bérubé

La tête lui tourne. Il fixe le grand miroir devant lui. Y a-t-il quelqu’un derrière ? Il est seul dans le petit local. Une table, deux chaises, rien d’autre. Du gris, beaucoup de gris ! Que savent-ils ? Les flammes montent encore vers le ciel. Il les revoit danser criminellement de gauche à droite telles de jeunes filles. Ses poignets lui font mal. Les attaches étaient surement trop serrées, ou peut-être est-ce les menottes ? Les gens passent derrière la porte. Cette porte, sans fenêtre, qui ne s’ouvre plus depuis trop longtemps. Des gens chuchotent de l’autre côté. Est-ce qu’ils discutent de lui ? L’histoire ne sonne-t-elle pas véridique ? Les oreilles lui sillent presque aussi fort que le bidon d’essence avant l’explosion. L’essence enflammée dessinant des fresques irrégulières avant de donner sur l’auto.

La chaise vide devant lui. Toujours vide. L’espace d’un instant, il y imagine quelqu’un. Il fabrique ses réponses en anticipant les questions qui arrivent l’une après l’autre. Mais toujours personne. La chaise vide devant lui.

Une voix chante derrière la porte, elle semble amusée. Elle se rapproche. Féminine, plus douce que celle du dernier homme à avoir traversé la porte. La poignée bouge, la voix entre. Elle pose un verre d’eau sur la table et se tait. Elle le fixe, moins enjouée que de l’autre côté. La voix repart. La porte se referme. La voix rechante sûre de ne plus être entendue. Se rappel-t-il de tout ? Combien étaient-ils ? Étaient-ils masqués ? Quelle couleur de cheveux ? Des cagoules peut-être ? Sa main courtise le verre d’eau, de loin. Le verre clair, presque aussi vulnérable que lui. Translucide, à l’intérieur duquel on peut tout voir ; tout analyser. Transparent, à l’intérieur duquel on peut traverser le regard d’un côté comme de l’autre. Le miroir, lui, ne fait que refléter. Il peut apercevoir son visage de plus en plus blanc et la sueur qui ne cesse d’apparaitre sur celui-ci. Gouttes d’angoisses qui coulent une à une tranquillement de son front à son menton. Gouttes d’angoisses qu’il essuie tant bien que mal en appréhendant la prochaine.

L’une s’échoue sur la table près du verre d’eau. Il se résigne à en prendre une gorgée.

La salle parait rapetisser à vue d’œil. Les murs rocailleux se rapprochent minute par minute tandis que son cœur bat le rythme. A-t-il fait le bon choix ? Son cou se raidit et il ne sait pas si ses mains sont moites ou collantes. Il rêve d’une cigarette. La voir blanchir l’air telle la carcasse du bloc-moteur encore agonisante à l’arrivée de la police. Il tourne le petit paquet sur la table sachant que ce n’est surement pas de cette fumée qu’ils parleront quand la porte refera des siennes. N’y avait-il pas d’autres moyens ? Combien d’argent avait-il expliqué s’être fait prendre ? Que risque-t-il ? Les yeux lui brulent. Il aimerait les fermer, mais il en est incapable. Chaque fois que son regard croise le noir, l’histoire change et elle ne doit plus changer. Elle doit être exactement la même qu’au départ. Pas d’ajout, pas de manque. La chaise est toujours vide, il fixe le dossier amèrement.

Le miroir vibre et on entend une porte claquer tout près. L’eau du verre oscille à la surface pour prendre la cadence de ce qui semble être des bottes. La voix chantante reprend, suivie d’une voix moins musicale : un homme. On-t-il tout avalé ? Si oui, pourquoi est-il toujours là ? L’eau oscille de plus en plus. Un peu plus rapide à chaque seconde. La voix chantante disparait, l’homme se fait entendre davantage. Doit-il continuer à jouer le jeu ? Devrait-il tout avouer ? Le claquement des bottes résonne sur les murs de béton. Le verre tombe. L’eau coule sur la table comme la sueur sur son visage. La voix s’arrête de l’autre côté de la porte, brusquement. La poignée tourne très mollement. Un homme entre, plus massif que la table d’érable et encore plus gris que les murs. Il ne parle pas et s’avance près de la chaise vide.

Une table, deux chaises, deux hommes…l’un sent l’assurance et brille de métal, l’autre sent la sueur et brille de questions. La voix sourit et replace le verre.

– Monsieur Pelletier, voulez-vous nous allons recommencer du début ?

Le sourire reste intact, la peur aussi.

Sébastien Bérubé

Texte publié dans le no 8 Jeudivers

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